« L’intérêt général est un cercle dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Pascal
Un point important de la sociologie hexagonale n’est jamais évoqué, en tout cas publiquement : certes, il y a à gauche des gens sincères, honnêtes intellectuellement, cohérents quant à leurs idées et à leur manière de les vivre, et généreux au fond de l’âme… Mais il faut arrêter la supercherie : une part considérable de ceux qui votent à gauche ne votent pas par altruisme, mais par pur intérêt personnel : souvent pour défendre les intérêts de leur corporation (enseignants, fonctionnaires, intermittents, syndicats…), et/ou parce que se trouvant dans le « mauvais camp » (ceux qui n’ont pas d’argent, ou ceux qui en ont moins que leur voisin), ils votent pour l’éternel « on va prendre aux riches pour donner aux pauvres ». Sans oublier tous ceux qui s’achètent simplement ainsi une bonne conscience à peu de frais. Il est quelque peu lassant d’entendre à tous crins les mots « générosité », « partage » là où il n’y a que velléité de conserver ses acquis ou de grignoter chez le voisin, et de trouver toujours l’alibi du « progressisme » là où il n’y a souvent que des conservatismes partisans.
Disons le sans détour : la France est un pays où il ne fait pas bon être riche d’un point de vue social. Deux excès s’opposent à ce titre des deux côtés de l’Atlantique : aux États-Unis, le montant du salaire ou du compte en banque s’affiche ostentatoirement. Il est l’instrument de mesure de la réussite sociale et semble refléter la valeur d’un individu selon les critères de la société américaine. Une des premières questions qui surgit dans la conversation avec un inconnu cherchant à mieux vous connaître – devrions-nous dire jauger ? – concerne le montant de votre salaire. Bien que cela soit représentatif d’une société malade de son matérialisme et de son manque de repères sains, cela n’implique pas pour autant que l’attitude inverse soit la marque d’une société saine et juste. C’est pourtant précisément la situation qui prévaut dans notre « douce France » où un bon salaire ou un gros compte en banque se dévoile le moins possible ! À l’inverse des États-Unis, nous sommes peut-être le pays occidental dans lequel les signes extérieurs de richesse sont le plus sûr moyen de susciter une flopée de sentiments peu amènes qui vont de la pincée de jalousie à la haine pure et simple.
Plus qu’une minorité – car on peut être catalogué comme étant « riche » avec un salaire de 3000 € par des personnes touchant le Smic – les riches sont souvent considérés inconsciemment comme une race à part, qui peut faire l’objet de la même forme d’ostracisme social qu’un émigré maghrébin dans un environnement « vieille France ». Pire : l’Africain ou le Maghrébin ressentira le plus souvent de la distance, de la méfiance, quelquefois du mépris. Il lui faut vraiment se retrouver encerclé par des racistes enragés pour ressentir la haine.
Le riche, lui, n’a pas besoin de se retrouver au milieu d’une communauté de gens particulièrement marqués par la pauvreté pour ressentir la haine. Le plus souvent, celle-ci viendra même de gens dont la situation n’a rien de précaire, issus de ce qu’il est convenu d’appeler les classes moyennes, de la petite bourgeoisie ou même de la grande bourgeoisie moins fortunée que lui !
Le voyeurisme particulièrement malsain d’émissions comme Capital, qui enchaînent les sujets sur les « riches » ou la « jet set » en forçant le trait autant que possible sur les aspects les plus ridicules, extravagants, dépensiers, bref choquants du comportement de certaines personnes fortunées, ne fait qu’exploiter les sentiments d’envie et de fascination, diversement mélangés à de la jalousie ou à de la haine, éprouvés par les spectateurs de ces émissions.
Imaginons quelques instants les réactions que susciterait une émission sur « la vie des pauvres » ridiculisant le comportement de certains, ou pire encore, une émission sur les « Arabes », aussi cruelle dans l’application à présenter les traits les plus ridicules ou stupides de quelques-uns que le sont les émissions sur la jet set. Impossible à imaginer en effet… Sur les riches par contre, pas de retenue ! Ils ont la chance d’être riches, ils ne vont pas se plaindre en plus ! Et puis leurs extravagances sont tellement stupides qu’ils méritent d’être épinglés ! Seulement voilà, les riches présentés dans ces émissions sont en général les plus exposés, par goût ou par obligation. Les plus discrets apparaissent quelquefois – ou leurs biens – mais c’est au prix d’un viol de la vie privée ou de la propriété privée par les journalistes. Bref on exploite les sentiments les plus primaires et triviaux du public, en étant sûr de faire de l’audience. Car la richesse, le luxe, la célébrité font rêver et fascinent.
Prétendre qu’il s’agit d’un travail d’information comme un autre est une insulte à l’intelligence de nos concitoyens. Il s’agit d’un travail de voyeurisme qui ne vaut pas mieux que le travail consistant à voler des images du bronzage seins nus de telle actrice en vacances ou de la dispute de telle autre avec son dernier boy-friend. Dans les deux cas, on surfe sur l’ambivalence constituée par un cocktail de sentiments oscillant entre curiosité, voyeurisme, fascination, envie, jalousie, plaisir pervers de voir le malheur des autres, surtout lorsqu’ils ont ce que l’on n’a pas et que l’on convoite.
Une histoire célèbre depuis longtemps est celle du piéton qui voit passer une belle voiture. Aux États-Unis le piéton se dit « je vais travailler dur pour me payer la même voiture ». En France, il se dit « j’espère que cet enfoiré va se planter ». L’envie est source de bien des tensions et de haines dans notre pays. Elle peut atteindre des extrémités stupéfiantes dans la méchanceté. Comme lors de ces épisodes de la guerre qui ont vu certains Français dénoncer des juifs au moins autant par jalousie de leur niveau de vie que par antisémitisme ou fibre collaborationniste.
Il faut aussi rappeler à ceux qui s’indignent des inégalités entre leur situation et celle des plus fortunés, que les impôts dont s’acquittent ces derniers de manière directe et indirecte en France représentent entre 71 et 85% de leurs revenus (nous verrons plus loin qu’avec l’impôt sur la fortune, cette contribution pouvait dépasser jusqu’en 2005 les 100% dans certains cas). Donner à l’État, au titre de la redistribution sociale, 71% de ses revenus, soit presque les trois-quarts des richesses que l’on crée constitue une contribution qui devrait dispenser les riches (ceux qui paient leurs impôts, donc une grande majorité) d’être accusés d’être peu solidaires ou d’accaparer les richesses. Bien plus qu’une contribution, cela s’apparente à du racket, sauf que dans ce cas, le « mac », c’est l’État. Bien sûr, ceux qui ont une sensibilité de gauche et ont eu l’ouverture d’esprit d’arriver jusqu'à ces lignes se révulseront : comment peut-on traiter de « mac » un État qui redistribue l’argent vers les couches socialement défavorisées, et défendre la cause de gens dont la fortune est telle que même si on prélève 71% de leurs biens, il leur restera encore beaucoup ? Pour analyser en profondeur les mobiles et les effets pervers du système actuel, il faut bien sûr aller un peu au-delà du simplisme à la Robin des Bois, qui est malheureusement le fonds de commerce d’une grande partie de la gauche, y compris celle qui dîne plusieurs fois par semaine dans des restaurants chers aux frais du contribuable.
Aucun observateur ne peut se faire un tableau un tant soit peu exact de la société française s’il néglige l’impact tout particulier de la Révolution, de la notion française d’égalité qui tend vers l’égalitarisme, de l’impact de Marx et de sa lutte des classes sur l’inconscient collectif français, et du mélange d’envie et d’hostilité qu’éprouvent les Français envers les privilégiés, en particulier lorsqu’il s’agit de privilégiés par la richesse.
L’État étant le vecteur de la redistribution des richesses et le passage obligé de la distribution des autres avantages, il est depuis longtemps la matrice du « rêve français ». Si le « rêve américain » est de pouvoir accéder à la fortune et au succès à la force de ses poignets et de son travail, le « rêve français » est pour beaucoup d’accéder aux meilleurs des privilèges accordés par l’État à ses administrés ou employés. Un Américain moyen rêve de bâtir une affaire à succès ou un empire commercial. Le Français moyen rêve d’un poste de fonctionnaire, de sécurité de l’emploi, d’avantages sociaux et de subventions. Charles de Gaulle avait bien perçu le pouls de la France en écrivant que le désir du privilège et le goût de l’égalité sont les passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque. Il s’agit là de la manière politiquement correcte d’exprimer les choses. Mais regardons bien les choses en face : la jalousie, l’envie, la frustration et l’égalitarisme sont des éléments clés de la vie sociale et de la politique en France.
Cette manière des Français de vivre leur rapport aux autres, et leur rapport à l’État est même antérieure à 1789. Pour Tocqueville, elle est la conséquence de cette « première Révolution » qu’a connue la France, celle de l’absolutisme. Dans L’Ancien régime et la Révolution, il montre comment la Grande Révolution ne fait que prolonger les transformations déjà opérées par l’absolutisme : la centralisation étatique, l’atomisation du corps social et le radicalisme philosophique. « L’absolutisme importe moins par l’État centralisé qu’il nous a légué que par ce qu’il a détruit. En attirant à lui toutes les fonctions politiques, il a ruiné tous les réseaux anciens de solidarité sociale, corporations, communes, assemblées d’État, que la tradition anglo-saxonne a su préserver. En quel lieu trouve-t-on les Français rassemblés, au XVIIIe siècle ? Dans les cartons de demandes de subvention, d’exemptions, de faveurs… Sociologiquement l’ancien régime est déjà une société démocratique, égalitaire et atomisée à la fois. Les Français sont déjà rendus semblables par les progrès de la civilisation et leur commune sujétion à la tutelle étatique. Mais ils se croient encore différents, se jalousent et se méprisent parce qu’aucun intérêt commun ne les rassemble plus. » (Françoise Mélonio – Magazine Littéraire, octobre 1988).
Ainsi, de l’absolutisme au jacobinisme, du jacobinisme au socialisme-communisme, du socialisme-communisme à la social-démocratie, l’histoire de France est une succession de centralismes destructeurs de liens sociaux, sous des prétextes de cohésion sociale. Quant à la passion égalitaire des Français, elle est en fait un joli cache-sexe, pour justifier ce qui est le plus souvent la détestation de tous ceux qui sont mieux lotis et le souhait mesquin, dont l’État se fait le bras vengeur, de les dépouiller de tout ce qui dépasse et agace tant.
Cette atmosphère, ignorée par certains, n’est que trop bien perçue par d’autres. Ajoutée aux lourdeurs administratives et aux prélèvements confiscatoires, elle constitue un repoussoir formidable pour ceux qui ont de l’ambition, des projets, du dynamisme, et l’envie de profiter du fruit de leur travail. Parmi les nombreux maux dont souffre la France d’aujourd’hui, l’hémorragie de ceux que l’on appelle « les forces vives » n’est pas le moindre. Nous verrons au chapitre suivant ce qu’il en est pour la catégorie des entrepreneurs en fin de carrière. Mais il y a aussi tous ces diplômés de grandes écoles qui ont renoncé à la France pour mener à bien leurs ambitions. Un chiffre parmi tant d’autres donne une idée de l’ampleur du phénomène : la Californie compte 40 000 jeunes diplômés français sur son sol. Ce chiffre est dévoilé dans un rapport remis en 2000 au Sénat par Jean-François Poncet. Intitulé La fuite des cerveaux ; la France perd ses créateurs d’entreprises faute de leur offrir un environnement porteur, ce rapport note également que « sur 36 000 emplois d’informaticiens pourvus en 1999, le départ des quelque 7 000 Français travaillant dans la seule Silicon Valley ne peut laisser indifférent. (…) Le pourcentage de diplômés sortant de nos écoles d’ingénieurs et de commerce qui créent des entreprises étant faible (6% pour les premiers, 3% pour les seconds), une hémorragie, même numériquement limitée, aura à moyen terme des conséquences très sérieuses ».
Autre pays qui n’en finit pas d’accueillir les Français les plus dynamiques, la Grande-Bretagne. Deux jours avant la remise du rapport de Jean-François Poncet au Sénat, l’édition de Time Europe publiait un article sur l’exode français, dans lequel on pouvait lire : « D'après certaines estimations, 2 millions de citoyens français vivent et travaillent à l'étranger. (…) Une fiscalité accablante – un éventail de charges qui en 1998 représentait 62% du revenu individuel moyen contre 40% en Grande-Bretagne, et 48,9% en moyenne au sein de l'UE – des cotisations sociales et les rigidités du marché du travail ont provoqué une fuite considérable des petites et moyennes entreprises, principalement vers la Grande-Bretagne. »
En 1998 un sondage de Valeurs Actuelles révélait que 64% des jeunes Français souhaitaient quitter leur pays.
Dans La Pensée unique – Le vrai procès, Claude Imbert commente : « Quand je vois tous ces jeunes Français qui vont à l’étranger (…) je dis qu’il faut faire attention : ce ne sont pas des jeunes qui cassent des vitres, ou qui descendent dans la rue. Ces jeunes qui partent disent simplement : Il n’y a plus rien à faire avec vous, on s’en va. Et puis c’est tout. On démissionne de la société française, on ne vous demande pas d’indemnités. On s’en va. (…) Ces jeunes vont tenter leur chance ailleurs, dans d’autres sociétés, des sociétés où le frein à l’initiative, le poids collectif sera moins lourd. (…) Au fond, les gens qui partent de France le font parce qu’ils sentent qu’il y a quelque chose d’irréformable pour ce qui est des péchés fondamentaux. Ils se disent : je suis trop jeune pour me résigner, et je suis trop vieux pour attendre. »
La France a trouvé un plus court chemin que de laisser les gens s’enrichir pour ensuite les dépouiller : elle les empêche de s’enrichir, ou les chasse.
Texte extrait de l'essai "Pensées à rebrousse-poil" :
C'est ce qu'on appelle le péché d'orgueil au milieu de présence et de l'être est plus important.
Posted by: ruletti | November 23, 2011 at 06:26 PM
À ces riches, ces pauvre petits plaignards!
C'est pas d'avoir du succès qui pose problème mais que ce succès ne mérite pas de crée des iniquités au détriment de la vie humaine.
(Rien n'empêche d'avoir du succès dans ton domaine tout en étant modeste et charitable envers ceux qui ont moins de chance dans la vie. c'est pas vrai que quelqu'un qui habite dans un bidonville a autant de chance que celui qui vit en France avec la possibilité de s'instruire, soins médicaux, et autres services)
C'est simplement qu'entre la superficialité d'en faire l'étalage (qui ne prouve rien, n'y ne vous fera être plus apprécié des autres) et la possibilité de sauver des vie, sauver des vie est plus importante.
Le but d'étaler sa richesse n'a pour unique but se donner une image aux yeux des autres. Montrer qu'on est meilleur! On appelle ça le péché d'orgueil. et entre le paraitre et l'être, l'être est plus important.
J'ai l'impression que les riches sont aveuglé par leurs mode de vie superficielle, ce qui explique leurs superficialité au détriment du bien-être collectif de la planète.
Je ne dis pas qu'il faille payer des Ferrari aux assistés sociaux qui s'assoie sur leurs Lauriers, mais ce n'est pas vrais qu'on doivent les sous payé, ni que dans certain pays qui ont subi des catastrophe comme Haïti, on puisse privilégié la superficialité avant la nécessité.
Posted by: Heinzel | February 21, 2011 at 07:28 PM
c'est tres bien dis, et c'est vrai:
Dans 2 ans j'me casse enfin!!!
Posted by: charly | February 06, 2008 at 11:12 AM