Autre pays continent au carrefour de la modernité et des problèmes de développement, le Brésil nous fournit quant à lui un nouvel exemple de la nuisance démagogique d’une certaine gauche dont la seule vocation est de toujours paraître plus à gauche que les autres.
Lula, le président du Brésil, ne peut pourtant pas être accusé de complicité avec les intérêts du capital. Suffisamment intelligent et réaliste pour comprendre que pour faire passer les réformes sociales dont le pays a grandement besoin, il devait tout d’abord rassurer les marchés, l’ancien syndicaliste s’y est employé avec succès. L’objectif de Lula et de son ministre des Finances est d’assurer au pays une stabilité économique et fiscale afin de permettre un taux de croissance important sur les 10-15 ans à venir. Car il ne faut pas être prix Nobel d’Économie pour comprendre que c’est la croissance qui permet la création d’emplois et donc l’amélioration significative des conditions de vie de la population. Parallèlement le gouvernement a entamé des actions sociales d’envergure comme le programme « Faim zéro » qui a déjà bénéficié à 6,5 millions de familles. Enfin, il est parvenu a mener à bien des réformes d’envergure comme celles de la fiscalité et de la Sécurité sociale.
Mais le cas de Lula est typique des processus qui se mettent en œuvre dans les camps de la gauche, tout au moins dans les pays latins. Dès lors, qu’une fois au pouvoir, un homme de gauche s’efforce de concilier réalisme économique et progrès social, il se voit affaibli par la composante la plus irréductiblement gauchiste et démagogique de son camp. « Au milieu d'une avalanche de manifestations, protestations et de grèves, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a exhorté hier les organisations sociales comme le Mouvement des Travailleurs Sans Terres (MST) à “agir avec responsabilité” ».
« Les promesses électorales, a dit Lula, seront accomplies de la manière la plus pacifique possible ». Ce pays a des lois et des règles. Et elles valent autant pour le président de la République que pour les Sans Terres et les « avec terres ». Selon le président brésilien, « ceux qui veulent faire des manifestations peuvent en faire parce que c'est un pays libre. Ce qui n'est pas possible, c'est perdre le sens de la responsabilité ». Il se référait à la vague d'invasions sans contrôle promue par les dirigeants paysans. Et il a averti : « S’ils veulent aller aux extrêmes, qu'ils sachent que cela ne va pas les aider. Je fus dirigeant syndical, je suis souvent allé aux extrêmes et d'autres fois j'ai eu du bon sens. De toutes les fois où j'ai eu du sens commun, j'ai gagné. Et toutes les fois où a prévalu l'extrémisme, j'ai perdu. Si je peux donner une recommandation à mes camarades du mouvement syndical, c'est celle-ci : agissez avec la plus grande responsabilité possible, parce que nous serons tous victimes de nos paroles ». (Luis Esnal - La Nacion – Argentine – 20 avril 2004).
Face à la menace d’une grève à durée indéterminée des fonctionnaires et la demande d’une augmentation de 50% par les dirigeants syndicaux, Lula a par ailleurs déclaré : « Personne dans l'histoire du Brésil ne va traiter les fonctionnaires mieux que moi. Pour cela ils doivent comprendre que je les considère comme je considère mes enfants. Je ne donne pas à mes enfants tout ce qu'ils veulent, je leur donne seulement ce que je peux leur donner. Et je ne m'endette pas pour faire un cadeau à un enfant pour ensuite ne pas pouvoir payer. Le dirigeant syndical doit savoir que cela n'a aucun sens d'avoir des revendications absurdes. »
L’histoire actuelle du Brésil est passionnante d’un point de vue économique, politique et sociologique. Les premières années de pouvoir de Lula sont riches d’enseignements sur le fossé qui sépare les meilleures intentions de ce qui est faisable à court terme.
En novembre 2003, Carlos Alberto Libiano Christo, dit Frei Betto, prêtre au long parcours révolutionnaire, théologien, écrivain, socialiste convaincu et conseiller du président Lula, confiait au journal espagnol El Pais, en réponse à la lenteur des réformes au regard des attentes : « Personnellement, je m’attendais à un rythme plus soutenu, mais j’ai fini par comprendre à quel point les rouages de l’État étaient lourds et complexes. Le PT [Parti des Travailleurs, qui a porté Lula au pouvoir (N.D.L.A.)] est né en pleine dictature. À ce moment-là, il aurait pu miser sur l’option révolutionnaire, et il a au contraire opté pour la démocratie bourgeoise, avec toutes ses limitations. Résultat : Lula s’est présenté à quatre élections et il a dû attendre treize ans pour arriver au gouvernement. L’expérience d’Allende au Chili et celle du Nicaragua sandiniste ont montré qu’il ne fallait pas se précipiter. Il faut de la souplesse pour négocier avec le Congrès et avoir une bonne base parlementaire. J’ai compris que l’exécutif pouvait beaucoup moins que ne l’imaginent beaucoup de gens. Il peut beaucoup, mais à long terme. Ce gouvernement fait des réformes que son prédécesseur n’avait pas faites en huit ans, il accorde la priorité à la politique sociale, il élabore un plan national de réforme agraire, bref, il réalise ce qu’il s’est proposé historiquement. »
Pour Chico Whitaker, un des fondateurs du Forum social mondial de Porto Alegre, Lula est un homme pragmatique, qui fait de la « realpolitik ». La sincérité de son combat n’est pas en cause, mais la plupart négligent un point important. Lula n’a pas tous les pouvoirs : il détient seulement un morceau de l’exécutif. Pour Whitaker, le défi est maintenant entre les mains de la société brésilienne dans son ensemble. (Propos recueillis dans l’émission « Un œil sur la planète » France 2, 28 mars 2005).
Que des populations en situation extrêmement précaire soient impatientes de voir les changements espérés, cela se comprend aisément. Mais qu’une gauche tacticienne, attisant la colère de sa base, dont Lula est pourtant le meilleur atout, arrive à dire que le Parti des Travailleurs (PT) s’est transformé en outil de propagande triomphaliste du néolibéralisme et que le gouvernement de Lula est ouvertement néolibéral, prouve une nouvelle fois qu’une certaine gauche ne recule devant aucun mensonge ou invraisemblance pour peaufiner son image de dernier rempart des plus faibles.
Il importe peu pour ceux-là que le Brésil enregistre des résultats économiques remarquables, dont les effets positifs pour toute la population seront à terme beaucoup plus significatifs que toutes les mesures d’aide et de redistribution. Pendant les deux premières années de pouvoir de Lula, le Brésil a battu le record de ses exportations, et a créé 2,4 millions d'emplois. D’autre part l’ajustement fiscal opéré par Lula pour réduire la dette publique du pays est un signe de toute première importance en direction des investisseurs, sans la confiance desquels le pays ne peut alimenter la croissance dont il a besoin pour donner des emplois à sa population. Il s’agit pourtant de notions élémentaires, mais qui n’entrent pas dans l’entonnoir idéologique et simpliste de nos prophètes d’un « autre monde ». Ceux-là mêmes qui accusent Lula d’être à la solde du FMI, alors que le consensus de Buenos-Aires, dont Lula est à l’origine avec le président Argentin Néstor Kirchner*, marque précisément un tournant radical face au « consensus de Washington ». En d’autres termes, Lula est à l’origine d’un changement d’attitude face aux dictats des techniciens du FMI, qui privilégient l’ajustement budgétaire perpétuel et le service de la dette extérieure. Tout en respectant les engagements du Brésil pour ne pas faire fuir les investisseurs, Lula remet en cause les principes trop rigides du FMI en s’adressant directement aux dirigeants des principaux bailleurs de fonds de l’institution : les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. « Si pendant vingt ans, la thèse qui a prévalu était celle de l’ajustement structurel, aujourd’hui c’est celle de la croissance et du développement économique qui doit l’emporter. (…) Aucun accord avec le FMI ne peut être que de nature budgétaire. Je crois en ce que l’on appelle l’organisation politique. Les techniciens des banques ne sont pas tenus d’avoir une vision politique de la situation que connaissent l’Argentine, le Brésil, l’Équateur ou la Colombie. Pour sensibiliser nos interlocuteurs à une politique sociale, c’est aux dirigeants politiques que nous devons nous adresser. Schröder, Chirac, les dirigeants nord-américains et britanniques, qui financent en grande partie le FMI, sont bien mieux placés pour convaincre les techniciens que le FMI doit modifier sa position. L’Amérique du Sud a besoin d’une deuxième chance. » (Lula – Interview dans Pagina 12 – Buenos-Aires – novembre 2003 – CI n°680).
Cette attitude de remise en cause et de négociation malgré la position de faiblesse du Brésil n’est rendue possible que parce que Lula respecte les engagements du Brésil vis-à-vis du FMI, et crédibilise ainsi sa position, tout en la renforçant via son association avec l’Argentine. Si le Brésil suivait la voie préconisée par les « dissidents du PT », c’est le pays entier et les plus démunis qui en feraient très rapidement les frais. Il faut sortir une bonne fois pour toutes des simplifications et caricatures perpétuées par l’internationale des démagogues. Ce sont les règles du marché qui font que l’union de certains pays comme le « groupe des vingt-et-un », comprenant la Chine et mené par le Brésil, a pu obtenir des clauses commerciales avantageuses à l’OMC et même obtenir que l’organisation se prononce contre les subventions accordées par Washington à ses producteurs de coton.
« Les échanges entre pays pauvres ne représentent à l’heure actuelle que 10% du commerce mondial, mais ils croissent rapidement. Aujourd’hui, environ 40% des exportations des pays en développement sont destinées à leurs pairs, et le commerce entre ces pays augmente de 11% chaque année, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), à Genève. (…) Les investisseurs surveillent quatre de ces États, qui sortent du lot si l’on en croit un rapport de Goldman Sachs rédigé par Dominique Wilson. En octobre 2003. Selon cette étude, le produit intérieur brut total de ce que l’on appelle le BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) représentera d’ici à 2025 la moitié du PIB combiné du « G6 » (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie, et Royaume-Uni). À l’horizon 2050, l’ensemble des économies du BRIC dépassera celui du groupe d’élite. Le rapport, qui conditionne une telle croissance à l’accélération des réformes institutionnelles, entre autres facteurs, prévoit que la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie se hisseront respectivement aux premier, troisième, cinquième et sixième rangs mondiaux en 2050, les États-Unis et le Japon se trouvant relégués aux deuxième et quatrième places. » (Carolyn Whelan - International Herald Tribune – CI n°717, juillet 2004).
Il faut aussi observer que les États-Unis, considérés comme le parangon de l’ultralibéralisme, sont eux-mêmes loin de mener une politique seulement libérale, l’État intervenant sur de nombreux points, notamment par des mesures protectionnistes ou keynésiennes. Souvent l’administration américaine ne respecte pas les règles d’éthique libérale, et laisse apparaître dans sa gestion aussi bien des aspects ultra-libéraux que des réflexes protectionnistes et des décisions corrompues. Ceux qui prétendent décrédibiliser le libéralisme en prenant les États-Unis pour exemple font ainsi soit une erreur d’analyse, soit une propagande mensongère. Les États-Unis sont plus souvent l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire que de ce qu’il faut faire d’un point de vue strictement libéral. Ce qui ne les empêche pas de bénéficier des effets positifs de ce qui est véritablement libéral dans leur tradition économique.
Autre exemple utilisé par la gauche pour disqualifier d’un revers de main la pensée libérale : le cas du FMI et de l’Argentine. La crise argentine est le résultat conjugué d’une situation déjà catastrophique avant l’intervention du FMI, et d’une gestion déplorable de la situation aussi bien par les techniciens que par les plus hautes autorités de l’institution financière, et bien sûr par le président Carlos Menem. Dogmatisme ultra-libéral, éloignement des réalités du terrain, incompétence, absence de véritable contrôle global des organismes émettant les obligations et corruption se sont cumulés dans le cas argentin. Sans compter que les mesures d’ajustement du FMI ont été violemment mises en œuvre dans un pays dont la culture de base est très loin d’être libérale. Le cas argentin apporte bien des enseignements, mais certainement pas celui qu’un vrai libéralisme, progressivement et correctement adopté par les acteurs économiques, conduit un pays à la banqueroute.
C’est pourtant ce que se sont empressées de conclure toutes les chevilles ouvrières de la pensée unique. Et bien peu de sons de cloche dissonants sont venus tempérer cette lecture de la crise argentine.
*Pour eux, « la gestion de la dette publique doit avoir pour horizon la création de richesse et de postes de travail, la protection de l'épargne, la réduction de la pauvreté, le développement de l'éducation et de la santé et la possibilité d'appliquer des politiques soutenables de développement économique et social.» Le document affirme également le refus de l'assistanat comme stratégie de lutte contre la pauvreté. Les plans d'aide sociale sont « un palliatif obligé », mais ils ne doivent pas conduire à la cristallisation d'une société divisée entre ceux qui ont du travail. Il prescrit une « professionnalisation » de l'administration publique, pour améliorer son efficacité et sa capacité de réponse.
Texte extrait de l'essai "Pensées à rebrousse-poil" :
Pourtant, ce n'est les bases, mais ne rentrent pas dans l'entonnoir et l'idéologie simpliste de nos prophètes du «un autre monde
Posted by: casino | November 21, 2011 at 02:30 PM