La perception du libéralisme par les Français est d’autant plus confuse que de nombreuses fausses pistes ont été entretenues non seulement par les anti-libéraux qui propagent une vision fausse du libéralisme, mais aussi par ceux qui se proclament libéraux en prônant des mesures qui n’ont rien de libérales, ceux qui défendent des mesures libérales sans en assumer l’étiquette, et ceux qui confondent libéralisme humaniste et libéralisme utilitariste. C’est un étrange paradoxe pour un pays qui a connu les premiers et certains des plus grands penseurs libéraux de l’histoire*, et un signe sans équivoque de la puissante censure exercée aussi bien dans le domaine de l’éducation que celui des médias.
La philosophie initiale du libéralisme a été déformée « de l’intérieur » par certains libéraux eux-mêmes qui ont cédé aux sirènes de l’approche constructiviste. Parmi ceux-ci, Pascal Salin examine en détail le cas de Maurice Allais, polytechnicien, brillant mathématicien et prix Nobel d’Économie en 1989. Le qualifiant de libéral utilitariste et pragmatique, Pascal Salin le considère comme représentatif du changement de perspective des libéraux de l’époque moderne, qui s’éloigne du libéralisme humaniste des auteurs français du XVIIIe siècle et de l’« école autrichienne » de Menger, Mises ou Hayek. Cette approche initiale du libéralisme est aujourd’hui méconnue ou laissée dans l’ombre. Ce qui est sans doute une des raisons essentielles de l’hostilité rencontrée par le libéralisme à notre époque, selon Pascal Salin qui ajoute « À l’aube du XXIe siècle, le seul vrai et grand débat est celui qui doit opposer les défenseurs d’une vision humaniste du libéralisme aux constructivistes de tous partis et de toutes origines intellectuelles. » (Libéralisme – Odile Jacob, p.60).
Dès les premières pages de son ouvrage, Pascal Salin s’attache à clarifier ce qu’est le libéralisme humaniste, dont l’approche est fondée sur les principes et la définition des droits, qu’il oppose à l’approche utilitariste, qui consiste à décider au cas par cas, à partir de ses propres préjugés ou de fragments de connaissance, s’il convient ou non d’adopter une solution de type libéral.
Avec une remarquable pédagogie, ce professeur à Paris–Dauphine réinitialise l’angle de vision qui devrait être celui de tout un chacun avant de se prononcer sur un choix politique : « (…) si l’on veut avoir une pensée et une action cohérentes, il faut les fonder sur des principes universels. Et la première exigence est alors de reconnaître qu’il n’existe que deux modes de relations entre les hommes : l’échange libre de volontés ou la contrainte. Ce qui conduit à deux conceptions radicalement opposées de la vie en société : la conception individualiste et la conception constructiviste, c’est-à-dire celle qui consiste à penser que l’on peut construire une société indépendamment de ses membres. On obtient ainsi une grille de lecture qui rend obsolètes les distinctions traditionnelles, par exemple l’opposition entre la droite et la gauche. On peut ainsi considérer que les “conservateurs” et les “progressistes” appartiennent tous deux au camp des constructivistes, puisqu’ils désirent tous modeler la société selon leurs propres vues – ce qui ne peut se faire que par la contrainte – les conservateurs désirant maintenir la société en l’état et les progressistes désirant la modifier. Par opposition, les libéraux soulignent seulement la nécessité de règles du jeu, sans que l’on puisse connaître à l’avance les résultats du “jeu” né des interactions entre individus. La liberté n’est en tout cas pas une liberté “anarchique” de faire n’importe quoi, mais au contraire une liberté bornée par le respect des droits des autres. Encore faut-il comprendre ce que sont ces droits, comment ils sont définis, quelle est leur légitimité.
À partir de ces bases simples, la discussion sur le rôle de l’État, sur le partage entre la sphère privée (celle de l’échange libre) et la sphère publique (fondée sur la contrainte), peut se développer de manière rigoureuse. Elle permet de réinterpréter et d’évaluer toutes les pratiques et les politiques actuelles. Contrairement aux idées reçues, une politique libérale n’est pas une politique favorable aux entreprises. Le libéralisme ne consiste pas, en effet, à défendre l’entreprise, entité abstraite, mais l’individu dans toutes ses fonctions (…) : les propriétaires, les salariés, les fournisseurs et clients, tous ceux dont les liens contractuels sont constitutifs de l’entreprise. » (Pascal Salin – Libéralisme, p.11).
Plus loin l’auteur rappelle que le vrai libéralisme ne reconnaît comme seules réalités que les satisfactions perçues par les individus, et non les seuls objets matériels pris en compte dans les approches constructivistes. Il considère que « la vie des hommes ne peut pas se découper en tranches, avec une partie économique, une partie sociale ou une partie familiale. » Il n’est ni une « doctrine consistant à rechercher le bien-être matériel aux dépens des valeurs humaines » ni « l’apologie d’un monde sans foi ni loi où les riches écraseraient les pauvres », au contraire.
« On reproche au libéralisme d’être matérialiste, de prôner la poursuite exclusive de la richesse aux dépens de toute autre valeur, alors qu’il n’a d’autre aspiration que de permettre l’épanouissement des êtres humains et la réalisation de leurs objectifs, spirituels, affectifs ou esthétiques autant que matériels. On lui reproche d’être sauvage alors que, fondé sur le respect intégral des autres, il exprime l’essence même de la civilisation. » (Pascal Salin – Libéralisme, p.10).
Bien entendu ces lignes feront sursauter plus d’un lecteur acquis à cette fin de l’histoire économique que sont les compromissions de la social-démocratie actuelle, sous ses diverses déclinaisons spécifiques à chaque pays. Et bien sûr il faudra encore du temps avant qu’une proportion importante de Français accepte ne serait ce que de considérer sans parti pris et sans horreur l’angle de vue du libéralisme original (humaniste) sur les affaires économiques et sociales. D’autant plus que ceux qui examinent la situation sous cet angle ont une fâcheuse tendance à quitter le pays s’ils nourrissent quelques ambitions, et donc à réduire d’autant le nombre des défenseurs du libéralisme sur le territoire.
Exode d’une partie considérable de ses élites, commentaires des observateurs de la presse étrangère de plus en plus acides, moqueurs ou désolés, modèle social à base de chômage et de déficits… la France accumule les mauvais indicateurs mais continue de chanter Cocorico ! Sur la planète monde, le pays ressemble au village d’Astérix, mais sans la potion magique.
La responsabilité des politiques est, bien entendu, majeure dans cette crise, la démagogie étant le pire ennemi de la lucidité des peuples. Suite au Non de la France à la Constitution Européenne, la presse étrangère de tous horizons et de toutes tendances s’est accordée sur quelques points, dont celui-ci : la grande responsabilité de Jacques Chirac et de son manque de courage politique, qui a finalement fait le jeu des gauches du Non et de l’extrême droite. Ou comment l’alliance des frileux et des démagogues a su emporter le suffrage d’une majorité de Français.
Le problème essentiel de la France aujourd’hui est bien celui-là : la perception partiale de la réalité qu’ont un grand nombre de citoyens. Le manque de curiosité de la plupart d’entre eux, ainsi que leur passivité en matière d’acquisition de l’information rendent le terrain favorable aux démagogues de tous bords. Jusqu’où pourra aller la politique de l’autruche avant une prise de conscience salutaire ? C’est la question qui malheureusement résume aujourd’hui avant toutes les autres la situation hexagonale.
*Turgot (1727-1781), Jean-Baptiste Say (1762-1832), Destutt de Tracy (1754-1836), Frédéric Bastiat (1801-1850).
Texte extrait de l'essai "Pensées à rebrousse-poil" :
Cet élément est particulièrement attractif, afin de faire beaucoup trop de limiter, pour faire glisser les recruteurs ne sont pas dangereux .. présentés ici sont à surprendre.
Posted by: casino | November 23, 2011 at 03:29 PM