Dans une tribune parue le 4 janvier dans Libération, Arnaud Montebourg est parti à l’assaut, tel Don Quichotte, de quatre moulins à vent. Les géants malfaisants qu’il décrit à sa dulcinée France sont quatre petits états (Suisse, Luxembourg, Liechtenstein et Monaco) dont le seul tort est d’avoir décidé en toute souveraineté de la fiscalité qu’ils reservaient à leurs citoyens, à leurs sociétés et à celles qu’ils accueillent sur leur sol. Mais le tort est grand, car la vision du monde de ces petits pays ne correspond pas à celle de notre Don Quichotte français, qui est bien-entendu la meilleure de toutes. Il est donc inadmissible qu’une si noble idée de l’organisation du monde soit génée aux entournures par les comportements forcément prédateurs de ces pays scélérats, qui volent à la France la « substance fiscale » si précieuse pour ses pharaoniques dépenses.
Comme souvent avec les envolées de la gauche française contre l’inhumanité de ce monde, la perplexité domine lorsqu'il s’agit de situer le curseur sur une courbe graduée entre ignorance totale et démagogie pure et simple.
Car la tribune d’Arnaud Montebourg est tellement pathétique d’ignorance économique et d’inexactitudes, que c’est lui faire insulte de penser que ce n’est pas plutôt par cynique démagogie qu’il débite autant de sottises, dont il ne serait pas dupe lui-même.
Signalons par exemple l’amalgame grossier qu’il fait entre le profit et le capital…
Au crédit de la démagogie notons les cascades inutiles de mots-clés destinés à frapper les esprits auxquels il s’adresse ; comme dans « les impôts sur le capital, la fortune et le patrimoine », ou l’emploi de trois mots redondants pour le même objet.
Signalons également cette ligne directrice de l’article visant à convaincre les lecteurs que la politique fiscale de ces odieux paradis fiscaux est directement responsable de l’alourdissement en France de la charge du financement de la solidarité nationale sur le travail… alors que les socialistes français sont ceux qui ont multiplié, notamment avec les 35 heures, les mesures alourdissant le coût du travail.
Prenons enfin cette phrase : « Qu'ils nous prennent Johnny Hallyday ou Alain Delon, passe encore, mais la substance de nos gisements fiscaux, (…) nous ne pourrons plus nous en laisser déposséder. » Symptomatique comparaison des éléments taxables avec des ressources naturelles, dont il faudrait protéger les gisements des comportements prédateurs de certains de nos indélicats voisins. La gauche française, c’est un peu comme l’Arabie Saoudite : pourquoi se fatiguer à favoriser la création de richesses et d’emplois, alors que nous sommes assis sur des gisements qui nous permettent de dépenser pour subvenir aux besoins de tous ? Mais par contre, pas touche aux gisements ! Sinon on se fâche !
Sortons à présent de l’axe ignorance-démagogie pour apprécier un autre caractère de cet «appel du 4 janvier» : celui de l’arrogance. Michel Rocard a dit «Je suis citoyen français, je suis donc le fils du deuxième pays le plus arrogant de toute l’Europe après le Royaume-Uni. » Nul doute qu’avec quelques chevaliers comme le sieur Montebourg, nous accederons sans peine à la place qui nous est due : la première.
Les commentaires sont superflus, car ici les citations se suffisent à elles mêmes : «Jusqu'où notre sens de la tolérance à l'égard de la Suisse, du Luxembourg, du Liechtenstein, de Monaco ira-t-il ? (…) Ne vaudra-t-il pas mieux assumer la confrontation inévitable avec ces territoires, comme le général de Gaulle sut le faire en décrétant en 1963 un blocus contre la principauté de Monaco qui dut ainsi plier l'échine devant les exigences fiscales que la République française avait mises sur la table ?»
Hormis l’incroyable arrogance de telles déclarations, il faut aussi souligner leur irresponsabilité. Car l’auteur de ces sorties magistrales n’est pas moins que le porte-parole officiel de Ségolène Royal, soit la femme qui a des chances sérieuses de présider bientôt aux choix politiques et économiques de la France. De telles déclarations ne vont pas inciter les capitaux présents dans ces pays à aller chercher des opportunités sur le territoire français, et encore moins rassurer les marchés sur ce qu’il faut anticiper d’une accession de Mme Royal à la présidence.
Mais il y a selon moi quelque chose de plus grave encore dans la candide tribune de monsieur Montebourg : c’est le profond mépris des libertés qu’elle révèle à chaque paragraphe. Johnny a choisi de s’exiler, en s’apprétant à respecter les règles qui lui sont imposées dans sa nouvelle situation, et après avoir pendant des décennies fait vivre des centaines de ses concitoyens, par les impôts qu’il a payé et les emplois qu’il a créé ? Il est littéralement insulté !
Des Etats souverains, neutres, dans un monde libre, qui ont démocratiquement décidé de leur contrat social, sont désignés à la vindicte populaire. On appelle l’Europe à leur décrèter un blocus, car leur vision de ce qu’il convient de faire dans l’intérêt économique de leur population ne correspond pas à celle que l’on souhaite imposer en France et dans l’Europe entière !
Monsieur Don Quichotte de Montebourg, sachez qu’en tant que citoyen français je n’ai pas besoin de vos services de chevalier, et que je vous serais gré d’épargner les ailes de mon moulin, qui produit pour le bien de tous malgré le poids que vous vous acharnez à mettre sur ses ailes, et de ne pas fâcher mes voisins, que les forfanteries et les vaines gesticulations incommodent. Si vous voulez affronter des géants, trouvez vous des batailles du côté, par exemple, du comité d’entreprise d’EDF… vous y trouverez matière à plusieurs chapitres d’héroïques batailles.
Et par pitié, achetez-vous une paire de lunettes !